j'suis toujours lààààà (bon ok, si c'est pour poster des trucs aussi courts, je devrais peut-être pas me vanter lol mais j'travaille sur des suites, ça devrait arriver à la rentrée!)
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Elle déteste le silence. Le déteste avec la même passion, la même force, la même détermination qu’elle verse dans tout ce qu’elle entreprend.
Il y a une large part d’angoisse dans cette haine. L’angoisse de l’abandon après le départ de sa mère, l’angoisse d’une maison vide après la mort de son père, l’angoisse de soirées passées à tourner en rond quand il n’est pas là.
Elle ne peut pas travailler, manger, dormir, fonctionner dans le silence.
Les informations en sourdine, de la musique, ou les sons de la rue quand elle ouvre les fenêtres simplement pour établir un contact avec l’extérieur… Le genre de bruits importe peu, tant qu’elle n’a pas à supporter le silence, à affronter l’angoisse.
Il le sait. Il ne se vexe pas quand elle préfère son iPod à sa non-conversation.
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Il aime le silence. L’accueille comme un vieil ami, le chérit comme un frère, le respecte comme un père. Pas son père. Un père qui mériterait le respect.
Il y a une large part d’angoisse dans cette adoration. L’angoisse du téléphone qui sonne pour annoncer une mauvaise nouvelle, l’angoisse d’une explosion destructrice, l’angoisse d’incessantes discussions avec d’innombrables ennemis.
Il a toujours considéré le bruit comme une nuisance.
Se retrouver seul avec ses pensées a été considéré comme un tel luxe pendant des années qu’il ne peut que l’apprécier lorsqu’il lui est accordé. Il a besoin de pouvoir fermer les yeux sans avoir à entendre quoi que ce soit d’autre que le son de sa propre respiration.
Elle le sait. Elle ne se vexe pas quand il se retire dans le calme de son bureau.
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Elle se glisse dans le lit et hésite à le réveiller. Elle a couvert une prise d’otages dans une banque aujourd’hui et assisté impuissante à l’exécution de deux enfants. Ils ne sont pas ensemble depuis très longtemps, elle ne sait pas si elle va réussir à exprimer ce qu’elle ressent, s’il va comprendre à quel point elle a besoin de lui, s’il va accepter l’intensité de ce besoin. Avant qu’elle ait pu prendre sa décision, il ouvre les yeux comme s’il avait senti son regard sur lui, et elle se perd dans l’océan de compassion. Le mur derrière lequel elle a réussi à se cacher jusque là s’effondre, et son corps se met à trembler si violemment qu’elle craint un instant de se briser en mille morceaux. Elle veut pleurer, hurler, s’indigner devant l’injustice du monde, mais pas un son ne parvient à s’échapper de sa gorge serrée. Elle cache son visage dans l’oreiller, essaie d’effacer les images cauchemardesques.
Il referme ses bras sur elle sans un mot.
Elle se blottit contre lui, savoure la chaleur de son corps, la douceur des doigts qui errent sur son bras dans une caresse tendre.
Les tremblements s’apaisent.
Les larmes coulent enfin, pendant des heures et des heures.
Elle prend sa main dans la sienne, dépose un baiser au creux de sa paume.
Et elle se dit que si elle doit vivre dans le silence jusqu’à la fin de sa vie, ça n’a pas d’importance, tant qu’il est à ses côtés.
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Il rentre une journée plus tôt que prévu d’un voyage d’affaires en Angleterre et décide d’aller la voir directement au lieu de rentrer chez lui. Elle lui a donné la clef il y a six mois. Il entend la musique avant même d’arriver devant la porte. Il la trouve assise en tailleur au milieu du salon, Shania Twain saturant les haut-parleurs pendant qu’imperturbable, elle tape frénétiquement son dernier article. Les quelques secondes avant qu’elle ne s’aperçoive de sa présence resteront à jamais gravées dans sa mémoire comme son plus beau souvenir d’elle. Le bout de langue dépassant de ses lèvres roses dans sa concentration, le pied battant inconsciemment la mesure, la mèche échappée de sa queue de cheval négligée, la bretelle de débardeur glissant sur son épaule, la quasi-violence de ses doigts volant sur le clavier, le soupir satisfait à la fin d’une phrase compliquée.
Elle lève les yeux sur lui, sourit.
La décision est prise depuis longtemps, il attendait juste le bon moment pour faire sa demande.
Il n’en voit pas de meilleur.
Même s’il est obligé de hurler pour se faire entendre.
Elle rit, dit oui, et se remet au travail en fredonnant.
Et il se dit que s’il ne doit plus jamais connaître un seul instant de silence avant la fin de sa vie, ça n’a pas d’importance, tant qu’elle est à ses côtés.
FIN