Alors, quelques Je sais à propos de cette fic :
Je sais : que quitte à revenir sur le forum, vous préféreriez sans doute des suites aux fics en cours. Ca viendra.
Je sais : que je devrais être en train de bosser
Je sais : qu’Arya est trop jeune (surtout dans les bouquins), pour envisager un ship (quoi que, vu ce que Martin fait faire aux gamins dans les livres, faut voir, mais bon), c’est bien pour ça que j’en reste à l’amitié dans cette fic – j’en ai d’autres sur ff.net où elle est plus vieille, mais elles sont trop longues pour les traduire pour le moment
Je sais : que je suis bien la seule que ce ship intéresse – ouais ouais, avouez tous là, même ceux qui regardent et/ou lisent Game of Thrones, si j’dis Gendry, la réponse dans 98 % des cas, c’est "Gen-qui ?" lol
Donc je recase un peu le contexte : Gendry, c’est le bâtard de Robert, l’apprenti armurier qui est envoyé pour rejoindre la Garde de Nuit pour le protéger de Joffrey qui fait égorger tous ses rivaux potentiels à King’s Landing, et que les Manteau d’Or essaient de retrouver. Arya, lui et Hot Pie deviennent potes sur la route, se font enlever, puis s’échappent de Harrenhal, le bastion des Lannister. Sachant que dans les livres, cette évasion est plus compliquée que dans la série, notamment parce que Gendry et Hot Pie ne veulent vraiment pas partir, vu qu’eux ils sont plus ou moins en sécurité à Harrenhal, contrairement à Arya qui est recherchée par à peu près tout le monde. La fic se passe quelques semaines après leur départ d’Harrenhal.
Voilà, c’est à peu près tout, j’ajouterai juste que c’est bizarre d’écrire en français pour une série que j’ai jamais vue en français, super dur d’imaginer leurs voix, sans même parler des traductions : j’suis pas capable d’écrire Tourte Chaude sans exploser de rire, donc Hot Pie restera Hot Pie lol
*
Elle balance un coup de pied dans une pierre, l’envoyant couler en plein milieu de la rivière. Comme elle est pied-nu, la douleur la distrait de ses sombres pensées pendant une seconde, mais elle ne trouve aucune satisfaction dans ce bref répit. Elle ne trouve plus aucune satisfaction dans quoi que ce soit. Et c’est le cœur du problème. Il a remarqué. Bien sûr qu’il a remarqué. Il est bête et obstiné et lent et stupide, mais il remarque toujours. Elle n’a pas réussi à lui cacher quoi que ce soit depuis… Et bien, depuis qu’elle le connait, en fait. Mais d’ordinaire, il ne fait pas de commentaire. Il sait qu’essayer de la faire parler ne sert à rien, et il sait qu’essayer de prendre soin d’elle ne sert vraiment à rien. Elle est capable de prendre soin d’elle-même, merci bien. Elle l’a prouvé à maintes reprises au cours de ces semaines passées sur la route, et avant cela à Harrenhal, et avant cela sur la Route Royale, et avant cela à Port Réal.
Mais ce soir, il a été plus audacieux que d’habitude. Elle ignore pourquoi. Elle suppose que tout le monde a ses limites, c’est juste qu’il l’a prise par surprise. Après tout ce qu’il a enduré pour elle, elle pensait que s’il avait effectivement des limites, il les aurait dépassées depuis longtemps. Ses mots tournent en boucle dans sa tête et elle donne un coup de pied dans une autre pierre, espérant contre tout espoir que ses paroles disparaîtront aussi aisément. Mais elle sait qu’elle ne les oubliera pas.
« C’était quand, la dernière fois que t’as ressenti autre chose que de la colère ? »
Elle n’arrive même pas à décider si ce sont les mots qui la perturbent le plus, où sa façon de les prononcer, comme un murmure, plein de tristesse et de compassion. S’il avait adopté un ton accusateur, elle l’aurait insulté, elle l’aurait frappé, elle aurait fait quelque chose. Au lieu de ça, elle s’est enfuie.
Car le vrai problème, c’est qu’il a raison. Elle ne ressent rien d’autre que de la colère depuis une éternité. Elle se souvient de fugitifs éclairs de joie à Port Réal. Un chat qu’elle avait enfin réussi à attraper, un sourire de son père, un rare moment de complicité avec sa sœur, un mot d’encouragement de son maître d’armes.
Mais la colère est née bien avant cela.
La vérité, c’est qu’elle a été en colère toute sa vie. En colère contre le destin réservé aux filles nobles, en colère contre sa mère pour la façon dont elle traitait son demi-frère, en colère contre les travaux d’aiguilles et les bonnes manières. Puis, sa vie a changé et elle a trouvé de nouvelles raisons d’alimenter sa colère. En colère contre le fait de quitter la seule maison qu’elle ait jamais connue et aimerait jamais, en colère après l’accident de son petit frère, en colère à cause de la perte de Nymeria. Et pourtant, ce n’était encore rien comparé à la colère qui la consume aujourd’hui. En colère pour la mort de son père, en colère pour la mort de Jory, en colère pour la mort de Syrio, en colère pour la mort de Yoren, en colère contre tous ceux qui ont eu quelque chose à voir avec ces meurtres.
C’est beaucoup de colère pour quelqu’un de si jeune, même elle peut l’admettre.
Et maintenant, elle est en colère contre lui pour en avoir parlé. Elle sait qu’elle ne peut pas rester cachée pour toujours, elle va devoir y retourner, et elle sait aussi qu’il est trop têtu pour laisser tomber le sujet. Peu importe combien de temps elle errera dans la nuit, quand elle reviendra à leur campement, il sera réveillé à l’attendre, et il voudra en parler cette fois. Certes, il ne l’a jamais fait auparavant, mais ça ne veut pas dire qu’elle est incapable de prévoir ses réactions. Elle le connait trop bien pour espérer qu’il va tout simplement oublier.
Et comme elle aimerait qu’il oublie !
Parce qu’il la connait trop bien lui aussi, et quand il aura vu au-delà de toute cette colère, il découvrira l’horrible vérité.
L’horrible vérité, c’est qu’elle est obligée de se raccrocher à la colère aussi fort que possible, parce que c’est la seule chose qui l’empêche de s’écrouler. A une époque, la peur, la tristesse, et même l’espoir étaient entremêlés là, quelque part, même s’ils étaient si profondément enfouis qu’elle ne s’est pas rendu compte qu’ils étaient bel et bien là avant de soudainement les perdre.
Elle se demande si le fait qu’il découvre la vérité sera vraiment si terrible.
Elle ne serait pas surprise s’il savait déjà. Il est bien plus observateur que les gens, elle y compris, ne veulent généralement l’admettre. Et s’il ne sait pas encore, que fera-t-il de cette découverte de toute façon ? Ce n’est pas comme s’il pouvait la blesser, même s’il le voulait. Cette idée en tête, elle s’engage d’un pas résolu sur le chemin du retour, enfin décidée.
Hot Pie dort, mais même de loin, elle distingue la forme allongée de Gendry et elle peut voir que ses yeux sont grands ouverts. Il l’observe pendant qu’elle approche, et il se redresse en position assise lorsqu’elle se laisse tomber à ses côtés. Pendant quelques minutes, aucun des deux ne prononce un mot, puis elle finit par céder.
_Je suis partie parce que je n’avais pas la réponse.
Il hoche la tête comme s’il s’était attendu à ce qu’elle dise quelque chose de ce type, et il garde le silence. Alors elle continue :
_J’en ai une maintenant.
Il se contente de la regarder patiemment. Elle prend une grande inspiration avant de se lancer.
_Quand le Manteau Doré a prononcé ton nom. Tu te rappelles ?
_Bien sûr.
_Ce jour-là, sur la Route Royale, j’ai eu peur pour toi. C’est la dernière émotion dont j’arrive à me souvenir. A part la colère, je veux dire.
_J’ai peur pour toi chaque jour depuis que je t’ai rencontrée.
_Je sais, reconnaît-elle. Je n’aime pas ça.
Son sourire est si léger et si bref qu’elle se demande si elle l’a imaginé. Quand il reprend la parole, sa voix n’en garde aucune trace.
_Et je n’aime pas te voir si furieuse que je me demande si tu ressentiras un jour quelque chose d’autre.
Il y a une question muette dans son regard, une question à laquelle elle est incapable de répondre. Elle ignore si elle ressentira quoi que ce soit d’autre un jour. Tout ce qu’elle sait, c’est que pour le moment, la colère lui convient, elle la rend forte, et c’est quelque chose dont elle a désespérément besoin.
_Je vais les tuer.
Elle n’a pas à préciser de qui elle parle. Il a tant de fois entendu sa liste qu’il peut probablement la réciter aussi bien qu’elle. Il réalise soudain :
_Tu as besoin de la colère.
Elle acquiesce sans savoir si elle est soulagée ou agacée de constater qu’il la comprend si bien. Puis elle se rend compte qu’elle n’est ni l’un ni l’autre, et que cela devrait la rendre triste, mais ce n’est pas le cas. Il demande :
_Et quand tu les auras tous tués ?
Elle ne peut pas s’empêcher de remarquer qu’il ne semble même pas envisager la possibilité qu’elle puisse échouer. La constatation fait presque naître l’ombre d’un sourire sur ses lèvres avant que la colère ne reprenne de nouveau le dessus.
_Je suppose que la liste n’en finira pas de s’allonger. Je n’aurai jamais vraiment fini.
_C’est un plan qui en vaut bien un autre.
_Et toi ? C’est quoi, ton plan ?
_Tu le connais.
Bien sûr qu’elle le connait. Il l’a suivie lorsqu’elle a quitté Harrenhal, malgré son désir d’y rester. Il est resté avec elle alors qu’il lui en voulait. Il a laissé derrière lui un semblant de sécurité alors qu’il savait très bien quels dangers les attendraient sur la route. Il la suivra où qu’elle aille. Voilà son plan.
_Tu n’es pas obligé, tu sais.
Le tremblement presqu’imperceptible de sa propre voix ne la surprend pas. Elle veut qu’il soit ici avec elle. La plupart du temps, elle le trouve insupportable. Mais parfois… Parfois, non. Comme ce soir. Il l’a mise en colère, oui, mais il a aussi presque réussi à la faire sourire. Presque.
_Il faut bien que quelqu’un t’empêche de tuer Hot Pie.
_J’imagine, répond-elle dans un manque flagrant d’enthousiasme, lui arrachant un léger rire.
Il garde le silence pendant un long moment après cela, et elle se demande s’il en a fini avec cette discussion pour aujourd’hui ou s’il essaie juste de trouver le meilleur moyen de formuler sa question suivante.
_Est-ce que tu veux ressentir autre chose ?
_Je ne crois pas, admet-elle. Comme quoi ? La souffrance, la peur ? Je préfère encore la colère.
_Et le bonheur ?
_Histoire d’être complètement détruite quand il disparaîtra ?
N’importe qui d’autre essaierait de la convaincre que le bonheur ne disparaîtrait pas forcément, mais il en a trop vu, et il en sait trop sur elle, pour s’encombrer d’optimisme. Il se contente de remarquer :
_Je n’ai pas encore été détruit, moi.
Elle émet un petit reniflement, mi-moqueur, mi-méprisant.
_Ouais. Et c’était quand, la dernière fois que tu as été heureux ?
_Ce matin.
_Quoi ?
Il hausse les épaules.
_Je suis heureux chaque matin quand je me réveille et que je vois que tu es saine et sauve.
La stupéfaction la prive de toute répartie, et elle pense distraitement que la stupéfaction est en fait une émotion, mais elle est trop occupée à essayer de comprendre ce que Gendry vient de dire pour s’attarder sur cette révélation. Il continue, son ton toujours aussi pragmatique :
_Je tiens à toi. Ne me dis pas que c’est une surprise.
Elle secoue la tête, aussi bien en guise de réponse que pour essayer de se débarrasser de son étonnement face à l’évidence qu’il a injectée dans ses paroles. Elle n’a jamais été du genre à exprimer librement ses sentiments, et elle a encore plus de mal à comprendre ce genre d’attitude à présent que le concept même de sentiments lui semble de plus en plus étranger. Et il n’a pas encore fini :
_C’est vrai, s’il t’arrive quoi que ce soit, ça me détruira. Ca ne veut pas dire que ça ne vaut pas le coup.
Et revoilà la colère. Cette vieille amie lui a presque manqué au cours de ses quelques minutes d’absence. Il n’a aucun droit de dire ce genre de choses, de la déstabiliser ainsi et de lui offrir ce sentiment de – par les Dieux ! – de sécurité. Pas quand elle vient juste de lui dire qu’elle refuse de ressentir quoi que ce soit.
_Je te hais, marmonne-t-elle en lui tournant le dos pour s’allonger, espérant mettre fin à la conversation.
Elle entend le mélange de satisfaction et de moquerie dans son sourire quand il répond :
_La haine, c’est une émotion.
_La ferme !
Elle s’endort au son de son rire, et pour la première fois depuis des mois, elle oublie de réciter sa liste.
Fin