Youhou ! Deux lectrices ! Moi contente ! Moi très contente ! moi espère que vous allez suivre jusqu’au bout sans vous ennuyer
Voilà la suite, en espérant aussi que c’est lisible même sans suivre la série, parce que vu les libertés historiques qu’elle prend, même en connaissant la légende, va peut-être y avoir des choses qui vont vous paraître bizarres lol on va voir ce que ça donne ! prévenez moi si vous voulez un peu plus de descriptions de personnages ou des choses comme ça pour mieux vous y retrouver.
Chapitre 1Elle était en train de rêver, il n’y avait pas d’autre explication possible. A l’endroit où elle avait posé le genou et où aurait dû se trouver de l’herbe, il y avait un sol de marbre. Là où l’horizon s’étendait encore une seconde plus tôt, il y avait… un trône ?!
Elle cligna des yeux une fois… Deux fois… Trois fois… Dans l’espoir que ce décor surprenant et étrangement familier allait disparaître, ainsi que toutes ces personnes bizarrement vêtues. Mais rien ne changea. Si ce n’est que l’homme assis sur le majestueux fauteuil hurla :
_Gardes ! Arrêtez-la !
L’instinct prit le dessus sur la stupéfaction quand elle comprit le danger et elle se leva d’un bond, abonnant au sol son sac et l’étrange objet qu’elle avait trouvé. Deux hommes en cotte de maille s’approchèrent d’elle sans trop se presser, estimant sans doute qu’elle ne représentait pas une menace. Repliant ses doigts sur eux-mêmes, elle balança violemment la base de sa paume dans le nez de l’un d’eux, lui prouvant qu’il se trompait. Surpris, il porta une main à son visage, découvrit que son nez était ensanglanté. Il échangea un regard incrédule avec son compagnon, qui dégaina son épée et en dirigea la pointe vers le cou de la jeune femme. Soudain paniquée, elle interrompit son premier mouvement, qui consistait à prendre un pas de recul, en sentant une présence derrière elle. Une intuition confirmée quand deux mains puissantes s’emparèrent de ses bras pour les retenir derrière son dos. Elle émit un gémissement en sentant son poignet droit se tordre et elle s’immobilisa au point de retenir sa respiration, fixant la lame qui la menaçait toujours.
Pendant une seconde, le temps parut s’arrêter, et elle eut la nette impression que son sort dépendait de l’occupant du trône, qui s’était levé pour s’approcher d’elle et l’observait en silence, une aura d’autorité l’enveloppant comme le riche manteau pourpre qu’il portait. Il lui sembla qu’une éternité s’écoulait, alors qu’il ne dut s’agir que d’un très court instant. Douloureusement consciente de la pointe de l’épée posée contre son cou, des doigts trop fermement serrés sur ses avant-bras, de la cambrure imposée à son dos alors qu’on lui tirait les mains en arrière, de l’écorchure de son genou meurtri, de l’état lamentable de ses doigts plein de terres et de coupures, elle ne prononça pas un mot, tentant de comprendre ce qui s’était passé au cours de la demi-minute écoulée. Un moment elle était à Cadbury Hill faisant des recherches pour un papier, le suivant elle se trouvait dans ce qui devait être la pièce principale d’un château, entourée d’hommes et de femmes vêtus comme au Moyen Age, sa vie plus en danger qu’elle ne l’avait été depuis de longs mois. Elle voulut secouer la tête pour tenter de s’éclaircir les idées et de réfléchir, renonça en réalisant que cela risquait de faire déraper l’arme qui la tenait en respect. Elle déglutit difficilement, tenta de parler, fut coupée par l’homme au port royal, qui ordonna calmement :
_Tuez-la.
_Non !
Elle poussa un soupir de soulagement en voyant un jeune homme blond retenir le bras du garde qui avait tenté d’exécuter l’ordre, donnant de l’élan à son épée. La lame s’arrêta à quelques centimètres de son cou, puis s’abaissa alors que le garde jetait un regard confus à celui qui devait être son… Maître ? Supérieur ? Roi ? L’homme aux cheveux gris et au front barré d’une longue cicatrice posa les yeux sur celui qui venait de lui sauver la vie. Alors le plus jeune des deux s’expliqua :
_Père, si elle est une sorcière, elle a sans doute des complices. Nous gagnerons plus à l’interroger qu’à l’exécuter dans l’immédiat.
Sorcière ? Exécuter ? Avant qu’elle ait le temps d’analyser cette remarque, il y eut un unique acquiescement de la part du quinquagénaire. Puis :
_Au cachot. Entravez-lui les pieds et les mains. Je m’occuperai d’elle demain.
Elle hésita une seconde en sentant l’homme qui la retenait la forcer à faire demi-tour, mais décida finalement de ne pas résister. Elle ne semblait pas avoir beaucoup d’amis dans cette pièce et elle ne savait pas ce qui l’attendait au dehors. Même en admettant qu’elle parvienne à se dégager, elle ne ferait pas dix mètres avant d’être arrêtée. Et elle doutait de s’en sortir en vie une seconde fois. Résignée, elle poussa un soupir et se laissa guider en pensant que si elle s’était déjà trouvée dans des situations bizarres et menaçantes, rien ne s’était jamais approché de cette expérience terrifiante.
Elle jeta un coup d’œil derrière elle avant de franchir l’imposante porte de chêne massif et fusilla du regard un jeune homme aux cheveux noirs qui ramassait discrètement son sac et l’objet inconnu pour les cacher derrière son dos.
Ce fut la dernière image claire qu’elle eut de la pièce. La porte se referma sur elle et elle se retrouva dans un long couloir, deux gardes marchant devant elle alors qu’un troisième la poussait en avant en lui tenant toujours les bras dans le dos. Décidant qu’elle n’avait rien à perdre, elle prit enfin la parole :
_Où suis-je ?
_Silence.
_Que se passe-t-il ? Pourquoi suis-je arrêtée ?
Les trois gardes répondirent d’un même rire incrédule, mais l’un deux consentit à lui répondre :
_Pour sorcellerie.
_Qu’est-ce que…
_Silence, j’ai dit !
Peut-être gagnerait-elle plus à obéir qu’à poser des questions, pour une fois, songea-t-elle en sentant l’étreinte se raffermir d’une façon douloureuse. Elle serra les dents pour réprimer toute tentation, frissonna quand le froid de ce qui devait définitivement être un château commença à s’enregistrer dans son esprit. Se mit à trembler de la tête aux pieds lorsqu’un des gardes qui la précédaient ouvrit une porte donnant sur des escaliers qui semblaient s’enfoncer dans les profondeurs de la terre. Pour la première fois depuis qu’on l’avait maîtrisée, elle tenta de résister, plantant fermement ses pieds dans le sol et se penchant en arrière. Mais elle n’était pas de taille face à la brute dans son dos, il n’eut qu’à la pousser d’une chiquenaude pour qu’elle soit obligée de poser le pied sur la première marche. Comprenant qu’elle risquait la chute en se débattant davantage, elle accepta de descendre les escaliers, le froid s’accentuant jusqu’à devenir insupportable. Elle sentit même la chair de poule, due autant à l’air glacial qu’à la peur, gagner ses jambes nues.
La pièce en bas des escaliers était divisée par des barreaux, probablement en acier. Sombre, uniquement éclairée par une torche fixée au mur, elle correspondait parfaitement à l’idée qu’elle se faisait d’un cachot. Les deux premiers gardes encadrèrent la porte ouverte alors que le troisième la poussait à l’intérieur d’une bourrade si violente qu’elle tomba à genoux. Elle eut tout juste le temps de placer une main devant elle pour éviter que sa tête ne heurte le sol couvert d’une fine couche de paille et elle se retourna aussitôt. Toutefois, elle n’eut pas le temps de se redresser : l’homme s’empara de son poignet droit et y fixa une épaisse chaîne. Elle profita de sa distraction pour tenter de le frapper de l’autre main, mais il retint aisément son geste et imposa le même traitement à son poignet gauche. Poussant un hurlement frustré, elle balança au hasard de violents coups de pied, parvenant à l’atteindre au tibia et à le déstabiliser. Apparemment lassé de son manque de coopération, il la gifla d’un revers si puissant qu’elle sentit sa pommette éclater sous l’impact et vit des points de toutes les couleurs danser devant ses yeux. Sonnée, elle n’eut pas un mouvement de plus alors qu’il lui entravait les chevilles et quittait la cellule en fermant la porte à double tour derrière lui. Il confia ensuite les clefs aux autres gardes, qui quittèrent la pièce, sûrement pour aller se poster en haut des escaliers et surveiller les entrées plutôt que les sorties. Ce n’était pas comme si elle risquait de s’évader de toute façon.
Sentant ses forces revenir peu à peu, elle tenta de trouver une position confortable, n’y parvint pas. Elle resta donc allongée sur le côté, ses bras formant un angle désagréable à cause des chaînes, ses jambes souffrant du contact avec la paille rugueuse et du froid glacial de la cellule.
Alors seulement, elle réalisa qu’elle avait enfin le temps de réfléchir un peu.
Une chose était sûre : elle n’était plus à Cadbury Hill. Mais alors où était-elle ? Et comment y avait-elle atterri ? Elle était certaine de ne pas être restée inconsciente quand l’objet avait émit cette violente lumière, car lorsqu’elle avait rouvert les yeux, elle était toujours dans la même position, certes dans un endroit différent. Et sa montre indiquait à peine quelques minutes de plus que la dernière fois qu’elle l’avait regardée, en prenant des photos des environs de la colline. Cela signifiait que personne n’avait eu le temps de la déplacer. Logiquement, elle devait en déduire que c’était cet objet qui l’avait transportée… Mouais… La logique n’avait peut-être pas grand-chose à voir dans cette histoire. En même temps, étant donné la ville où elle avait grandi, elle avait appris à accepter l’inacceptable. Restait donc la question de l’endroit, du pourquoi, du comment… Restait un paquet de questions, en fait.
Une reconstitution ! songea-t-elle soudain.
_C’est ça, prononça-t-elle à voix haute, sa vieille habitude de parler pour elle-même lorsqu’elle réfléchissait intensément reprenant le dessus. Une reconstitution.
Après tout, son article portait sur la reconstitution qui était au cœur du festival d’août de Glastonbury, célébrant le règne du roi Arthur. Sans doute se trouvait-elle dans la reconstitution…
Oui, mais non. Ca ne collait pas. La reconstitution se passait en plein air, pas dans un château. En plus, elle n’avait même pas commencé : elle ne devait débuter que la semaine suivante. Enfin et surtout, aucun des acteurs de la reconstitution n’aurait eu intérêt à la faire enfermer dans un cachot. Elle était certaine que ces hommes ne plaisantaient pas.
Quoi alors ? Un ennemi cherchant à se venger ? Mais pourquoi toute cette mise en scène ?
Quelles étaient les autres options ? Un dingue ?
Avant qu’elle ait le temps de pousser plus loin ses réflexions, elle entendit une porte s’ouvrir et des pas dans l’escalier. Elle essaya de se redresser, réalisa que les chaînes de ses bras étaient trop courtes pour le lui permettre et dut se résigner à rester en position de faiblesse.
Elle haussa les sourcils en voyant entrer le jeune homme blond qui avait empêché l’un des gardes de la tuer. Il portait une étoffe d’un bleu sombre à la main, qu’il jeta sur son épaule le temps de fouiller dans le trousseau de clefs qui pendait à sa ceinture et d’ouvrir la cellule. D’instinct, elle recula autant qu’elle le pouvait, la prudence l’incitant à partir du principe que tout le monde était un ennemi.
Il lui offrit un demi-sourire qui se voulait sûrement rassurant en lui tendant l’immense morceau de tissu et en prenant enfin la parole :
_Qui êtes-vous ?
Elle hésita une seconde, mais réalisa qu’elle n’avait pas vraiment le choix si elle ne voulait pas mourir de froid. L’homme plus vieux avait annoncé son intention de s’occuper d’elle le lendemain, et si elle devait passer la nuit dans ce cachot, elle avait besoin de cette protection. Elle s’empara donc de ce qu’elle découvrit être une lourde cape de velours et s’emmitoufla dedans autant que possible malgré les chaînes. Sentant aussitôt une chaleur bienvenue l’envelopper, elle décida de mettre sa méfiance de côté juste pour quelques minutes et répondit d’une voix plus faible qu’elle ne l’aurait voulu :
_Chloé. Chloé Sullivan. Et vous, qui êtes-vous ?
Il y eut un mouvement de surprise alors que le jeune homme demandait :
_Vous l’ignorez ?
Elle fronça les sourcils.
_Bien sûr que je l’ignore. Je n’ai pas vraiment eu le temps de faire une enquête. J’étais à un endroit, puis à un autre, et on m’a emprisonnée avant que je puisse faire quoi que ce soit. Où sommes-nous ?
_Êtes-vous une sorcière ?
Retrouvant un peu de sa vitalité, elle réussit à s’asseoir malgré les chaînes et répliqua avec hargne :
_Si vous êtes ici pour m’interroger, ayez au moins la décence de répondre vous aussi à mes questions. J’aime savoir à qui je m’adresse.
Une grimace se dessina brièvement sur les traits réguliers et un éclair de confusion passa dans les yeux bleus quand il sembla comprendre qu’elle ne plaisantait pas en prétendant ne pas le connaître. Puis le jeune homme finit par s’approcher d’elle et s’accroupit à ses côtés.
_Je m’appelle Arthur. Vous êtes au château de Camelot.
Son cœur manqua un battement et il lui sembla que sa mâchoire se décrochait. Repérant sa stupéfaction, le jeune homme haussa les sourcils.
_Est-ce si incroyable ?
Elle parvint à refermer la boucher et secoua la tête, espérant se réveiller très vite. Sauf que tout était trop réel pour n’être qu’un rêve.
_Arthur… Le roi Arthur ? demanda-t-elle dans un souffle.
Elle crut s’évanouir en l’entendant corriger :
_Prince.
D’accord. Elle avait vu beaucoup d’illuminés, mais des hommes se prenant pour un héros légendaire disparu depuis quinze siècles, ça, c’était nouveau. Soudain prise d’un énorme doute, elle avala difficilement sa salive avant de reprendre la parole, incapable de croire que c’était bien elle qui posait une telle question :
_En quelle année sommes-nous ?
Une nouvelle grimace. Mouais. Sa question pouvait paraître étrange, elle l’admettait. Mais il accepta tout de même de répondre :
_493.
Sans lui laisser le temps de digérer l’information ou de tenter de décider si elle était véridique, il ajouta :
_A votre tour à présent. Êtes-vous une sorcière ?
_Non !
_Dans ce cas, comment expliquez-vous votre apparition dans la salle du trône à moitié nue ?
Elle faillit protester à cette dernière précision, mais réalisa qu’effectivement, sa tenue pouvait paraître indécente… Si elle se trouvait bien au Vème siècle, ce qu’elle avait un peu de mal à accepter.
_Je… ne l’explique pas. J’ignore ce qui m’est arrivé, répondit-elle sincèrement.
Son regard se durcit et il se releva. Soit il ne la croyait pas, soit son absence d’explication lui déplaisait. Dans les deux cas, elle venait peut-être de se faire un ennemi de quelqu’un qui aurait pu devenir un allié. Elle se mordit la lèvre en l’entendant prononcer d’une voix ferme :
_Il vous faudra trouver mieux que ça quand mon père vous interrogera.
_Votre père ? Uther, réalisa-t-elle soudain. L’homme qui voulait me faire tuer. Uther Pendragon. Vous êtes son fils ? Il est en vie ?
Ses yeux se plissèrent comme s’il la soupçonnait de quelque chose et il répliqua :
_Bien sûr qu’il est en vie. Pourquoi ? Votre mission consistait-elle à le tuer ? Avez-vous échoué ?
_Quoi ? Non, bien sûr que non ! Je ne savais même pas qui il était !
Il garda le silence et elle fut incapable de déterminer s’il la croyait ou non. Son visage était totalement fermé. Elle poussa un soupir en remarquant :
_Vous paraissiez plus sympa il y a quelques minutes.
_Avant de vous soupçonner de trahison, vous voulez dire ?
_Ouais. Avant de vous transformer en bloc de glace, quoi.
Il secoua la tête, apparemment aussi perdu qu’elle.
_Vous vous exprimez de façon étrange.
Un triste sourire étira ses lèvres et elle ignora la remarque pour se concentrer sur un problème plus important :
_Que va-t-il m’arriver ?
_Vous passerez la nuit ici. Le roi décidera de votre sort demain.
_Mon sort ?
_S’il vous croit magicienne, vous serez condamnée à mort.
Lui tournant le dos, il fit mine de quitter la pièce, et elle eut la nette impression que si elle le laissait faire, elle laissait passer sa seule chance d’échapper à une exécution. Fouillant à toute vitesse dans son esprit, elle s’accrocha comme à une bouée de sauvetage à la première idée qui lui vint et elle cria :
_Merlin !
Il s’arrêta net, tout son corps se figeant. Elle vit ses épaules se tendre avant qu’il ne lui fasse de nouveau face.
_Qu’avez-vous dit ?
Prenant un peu d’assurance, elle répéta plus calmement, une note de supplication dans la voix :
_Merlin. Je veux voir Merlin. S’il vous plaît.
Il sembla sur le point de dire quelque chose, renonça, referma la porte à clef, et la laissa seule sans qu’aucun de ses cris pour le rappeler ne semble l’atteindre.
Resserrant la cape autour d’elle pour lutter contre les tremblements qui s’emparaient de son corps, la jeune femme ferma les yeux, sentant quelques larmes glisser le long de ses joues malgré ses efforts pour les retenir, les événements de la dernière heure la rattrapant finalement.
De deux choses l’une : où elle se retrouvait captive d’un fou se prenant pour le futur roi Arthur, ou elle avait bel et bien fait un bond dans le temps. Dans les deux cas, sa situation posait problème. La première hypothèse semblait improbable : elle ne voyait pas comment ce dingue lui aurait mis la main dessus. Ni comment il aurait pu réunir des types aussi tordus que lui pour jouer les gardes ou le roi.
Mais il y avait aussi quelque chose qui ne collait pas dans la seconde hypothèse. Celui qui s’était présenté sous le nom d’Arthur portait une couronne et prétendait être prince. Or, Arthur était censé être le fils illégitime d’Uther, il n’avait jamais été prince, et si Uther était encore en vie, alors il n’était pas roi non plus. Il n’avait même rien à faire à Camelot avant la mort d’Uther Pendragon.
Certes, la légende existait sous diverses versions et il était difficile de s’y retrouver, mais presque toutes les histoires s’accordaient sur ce point : Arthur n’était pas à l’origine l’héritier légitime du trône. Certains prétendaient même que c’était grâce à Merlin qu’il avait fini par accéder à la royauté.
Et ce n’était pas la seule incohérence. Elle avait été arrêtée pour sorcellerie, ce qui semblait indiquer que la magie était interdite à Camelot. Aucune des versions de la légende ne mentionnait ce fait.
Elle porta la main à sa tête pour lutter contre une migraine naissante, se massant doucement le front.
Elle était si absorbée dans ses pensées et tellement plongée dans sa confusion qu’elle n’entendit rien jusqu’à ce qu’un toussotement la ramène au présent… Si l’on peut dire. Elle rouvrit les yeux et leva la tête pour se trouver face au jeune homme qu’elle avait vu ramasser ses affaires dans la salle du trône. Frêle, il ne devait pas avoir plus de vingt ans. Ses cheveux noirs lui retombaient sur le front dans une coupe désordonnée, et ses pommettes saillantes le faisaient paraître plus jeune encore.
_Qui êtes-vous ?
_Arthur m’a dit que vous vouliez me voir. Il n’a pas eu l’air de bien comprendre pourquoi. Je dois dire que moi non plus.
Il lui fallut une seconde pour analyser cette étrange déclaration. Réalisant ce qu’il impliquait, elle répondit d’un ton confus :
_Vous n’êtes pas Merlin.
Luttant visiblement contre un début de sourire, il haussa les sourcils, et elle comprit qu’il se moquait gentiment d’elle quand il répliqua :
_Dans ce cas, je peux vous abandonner à votre sort.
Il eut un geste en direction des escaliers, s’attendant à ce qu’elle le retienne. Ce qu’elle fit, bien sûr.
_Non, attendez. Vous êtes… Merlin ? Vraiment ?
Il acquiesça en silence, renonçant à retenir son sourire. Elle ne put s’empêcher de se détendre à son tour en remarquant à quel point l’expression transformait son visage, le rendant ouvert et étrangement attirant alors qu’il semblait jusque là dur et plutôt banal. Secouant la tête, elle lâcha dans un murmure :
_Vous n’avez pas grand-chose à voir avec Merlin l’enchanteur.
Stupéfaite, elle vit son expression changer une fois de plus, passant à une peur presque panique alors qu’il s’approchait de sa cellule et posait les mains sur les barreaux. Il chuchota alors :
_L’enchanteur ? Quel enchanteur ?
Surprise par sa réaction, elle expliqua d’un ton hésitant :
_C’est un dessin animé qui… Euh… Vous ignorez ce qu’est un dessin animé, n’est-ce pas ?
A son hochement de tête, elle poussa un soupir. Une illumination la traversa soudain : bien sûr, si la magie était illégale, alors l’inquiétude qu’il semblait ressentir était logique. S’il s’agissait bien du Merlin des légendes et qu’il possédait des pouvoirs, il devait les garder secrets.
_Écoutez, je… je ne dirai rien à personne, mais… êtes-vous magicien ? Druide ? Mage ? Sorcier ? Enfin un truc dans le genre ?
Méfiant, il plissa les yeux comme pour tenter de la sonder. Finit par demander :
_Que savez-vous de la magie ? Que savez-vous de moi ?
Elle lui offrit un sourire timide.
_Moins que je le croyais, apparemment. Vous êtes… Comment expliquer ça ?
Elle marqua une pause alors qu’il continuait à la fixer, lui laissant le temps de rassembler ses esprits.
_Est-ce que vous avez fouillé dans mon sac ?
Il eut un temps d’hésitation avant d’avouer sa curiosité d’un signe. Bien. Voilà qui allait simplifier les choses. Elle s’attarderait plus tard sur la violation de sa vie privée.
_Vous y avez trouvé des affaires bizarres, n’est-ce pas ?
_En effet.
Malgré la gravité de la situation et le trouble dans lequel elle se débattait toujours, elle sourit en imaginant le désarroi d’un jeune homme du Vème siècle devant un téléphone portable et un ordinateur, ou même devant une bouteille en plastique. Elle hésita une dernière seconde, mais elle savait qu’elle n’avait pas le choix. Si elle était bien coincée dans le passé et que l’homme face à elle était le mage dont les légendes vantaient les exploits, aussi difficile que cela soit à croire, alors il était probablement le seul à pouvoir l’aider. Prenant une profonde inspiration, elle avoua :
_C’est parce que je viens du futur.
Elle le vit écarquiller les yeux à l’extrême avant d’éclater de rire. Quand il réalisa qu’elle continuait à l’observer sans aucune trace d’humour, il se calma instantanément. Nia dans un souffle :
_C’est impossible.
_J’aurais dit la même chose jusqu’à il y a peu. Mais Merlin… Si tu es bien celui que je crois, alors tu as déjà dû voir et faire plus incroyable.
_Pas vraiment, non.
_Écoute, tu dois m’aider, je t’en prie. Si Uther me prend pour une sorcière et me fait pendre…
_En fait, les sorcières sont brûlées vives ou décapitées.
_Oh. Alors ça change tout, rétorqua-t-elle en roulant des yeux.
Il eut une grimace d’excuse et elle continua :
_Si je meurs, je ne pourrai jamais retourner à mon époque. Et ça, c’est… mal. Je suppose. Enfin… Je ne peux pas mourir ici, Merlin ! Si je pouvais éviter de mourir tout court, ça m’arrangerait, d’ailleurs. Il faut que…
_Admettons que je te crois, coupa-t-il. Si tu n’es pas magicienne, comment as-tu pu voyager dans le temps ?
_Ah ! Si tu pars du bon principe et que tu commences à poser des questions pertinentes, on va peut-être pouvoir avancer un peu. Je n’en ai aucune idée. Je pense que ça a un rapport avec cet objet que j’ai trouvé sur Cadbury Hill. Ce truc qui a l’air d’un bijou, tu l’as récupéré avec mon sac, je crois.
_Il est vrai que cela ressemble à un accessoire magique, admit-il, songeur.
_Peux-tu m’aider ?
_Je… je l’ignore. Je vais essayer. Que tu pratiques la magie ou non n’y change rien, personne ne mérite de mourir ainsi. La première chose à faire est d’inventer une histoire pour le roi… Tu… cueillais des champignons en forêt. Tu as été attaquée par un groupe d’hommes. L’un d’entre eux t’a jeté un sort. C’est tout ce dont tu te souviens.
Elle hocha la tête, reconnaissante pour ses efforts.
_Me croira-t-il ?
_Espérons-le. Je vais parler à Arthur. Uther a durci sa politique contre la pratique de la magie récemment, mais faire exécuter une innocente le rendrait moins populaire encore, peut-être le prince pourra-t-il le convaincre de t’accorder le bénéfice du doute. Je ne peux rien te promettre pour l’instant, si ce n’est de faire mon possible.
Soulagée, elle lui offrit un sourire.
_Merci.
Il s’apprêtait à partir, changea d’avis et posa la question qui semblait le perturber depuis quelques minutes :
_Pourquoi as-tu cru que je n’étais pas… moi, lorsque je suis arrivé ?
_Là d’où je viens, on te décrit très différent.
_Là d’où tu viens ? Dans le futur ? On parle de moi dans le futur ? Comment ça, différent ?
_Vieux.
Un rire lui échappa.
_Je le serai un jour. Si je ne suis pas exécuté d’ici là.
_Non, je veux dire… Très vieux. D’après ce qu’on raconte, tu étais beaucoup plus âgé qu’Arthur, tu étais déjà un mage puissant avant même sa naissance. Et il y a d’autres choses qui ne collent pas.
Il fronça les sourcils.
_C’est étrange. Que dit-on d’autre, sur…
_Je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée.
_Oui. Tu as raison. Bien sûr.
Sentant sa déception, elle lui offrit en guise de compensation :
_Je peux te dire que tu vas accomplir de grandes choses, Merlin.
Sa grimace se transforma en un sourire éclatant et il lui accorda un dernier hochement de tête avant de se précipiter hors de la pièce pour aller parler à Arthur. Poussant un soupir, elle s’adossa au mur humide et ferma les yeux, l’esprit étonnamment vide.
*
A suivre…