Titre : Ils vécurent heureux…
Note de l’auteur : Ma version du challenge "Et après ?" (ce n’est évidemment pas une participation, j’avais juste envie de voir ce que ça donnerait si je me lançais). J’avais plein d’idées avant de lancer le challenge, et j’en ai plein qui me sont venues après l’avoir lancé… Finalement je me suis décidée pour la plus bizarre. Je sais pas trop si j’ai bien fait, mais j’espère que c’est au moins un peu original. J’ai essayé de coller au maximum à SV malgré mon décrochage post saison 3, merci à Six’ pour ses explications sur certains spoilers et pr les liens vers quelques scènes Chlex dans les plus récentes saisons
Et un méga-super-géant merci à Alexiel, Chlo et Six’ d’avoir participé, et à Luthor et Snuamdmiear (je me suis pas trompée ?) d’avoir accepté de jouer les juges ! *
La fillette s’allongea avec un soupir de satisfaction, les lèvres retroussées sur un sourire. Pas parce qu’elle était épuisée, pas parce qu’elle voulait se réfugier dans ses rêves, mais parce que cette heure, sa préférée de la journée, représentait l’instant où son père allait rentrer du travail, venir voir si elle dormait, la découvrir les yeux grands ouverts, la réprimander gentiment pour l’avoir attendu, s’installer dans le grand fauteuil à côté de son lit, ouvrir l’épais carnet qui reposait sur sa table de nuit et lui lire son histoire préférée. A sept ans, elle était capable de déchiffrer les mots elle-même, mais la voix grave de son père et la façon qu’il avait de raconter et de s’impliquer la plongeaient directement au cœur du récit et elle adorait ça. C’était leur moment à eux, quelque chose que rien ni personne ne pourrait jamais leur voler.
Son sourire s’élargit quand elle entendit la poignée tourner tout doucement et qu’elle vit un filet de lumière se faufiler par l’ouverture. Puis il y eut un murmure :
_Lena ? Dors-tu ?
_Nan.
_Tu devrais.
_Pas envie.
Elle entendit sa voix s’adoucir alors qu’il laissait derrière lui les ennuis de son travail.
_Veux-tu une histoire ?
Elle en leva presque les yeux au ciel. Elle avait toujours envie d’entendre une histoire. Surtout celle qu’ils avaient commencée la veille.
_Oui.
Il referma la porte derrière lui et alluma la veilleuse de la table de nuit, juste assez puissante pour qu’il puisse parcourir les pages, mais assez faible pour lui permettre de s’endormir quand elle se laisserait bercer par le son de sa voix.
_Laquelle veux-tu ? Oh, attends, je sais. Il était une fois une jolie princesse qui vivait dans un château. Un jour…
_Papa !
Il lâcha un rire à l’exclamation indignée qu’il avait attendue et elle secoua la tête en riant à son tour pendant qu’il la couvrait de sa couette et s’installait enfin à sa place sur le fauteuil.
_Bon, bon, d’accord, céda-t-il en s’emparant du carnet relié de cuir qui renfermait son histoire favorite. Mais tu sais, la plupart des enfants de ton âge adorent les histoires de princesses.
_J’aime bien les histoires de princesses, protesta-t-elle.
_Mais pas autant que celle-ci.
_Non, c’est vrai, admit-elle.
_Te souviens-tu où nous nous étions arrêtés ?
_Ils venaient de se rencontrer.
_C’est tout ? s’étonna-t-il.
Elle eut une moue boudeuse en lui reprochant pour la énième fois :
_Tu racontes trop lentement.
_C’est comme ça que tu l’aimes.
_Mouais.
Il sourit en tournant les pages jusqu’à retrouver le bon chapitre. Il n’avait pas vraiment besoin du vieux carnet, elle le savait. Il connaissait l’histoire par cœur, tout comme elle, mais il aimait la sensation du papier entre ses doigts. Repérant l’endroit où il avait arrêté son récit la veille, il entreprit enfin de commencer sa lecture.
_Donc, la journaliste et le milliardaire venaient de faire connaissance…
*
La jeune femme claqua la porte de sa chambre et s’adossa au battant dans un soupir, fermant les yeux tout en se félicitant de son sang froid. Elle avait été plus secouée par cette rencontre qu’elle ne voulait l’admettre, mais elle était parvenue à rester professionnelle et n’avait rien laissé paraître des émotions qui bouillaient en elle.
Il était un homme exceptionnel, elle l’avait su avant même de poser les yeux sur lui, mais elle ne s’était pas attendue à la décharge électrique qui l’avait traversée toute entière quand il lui avait simplement serré la main. Elle secoua la tête en essayant d’effacer de sa mémoire les yeux qui avaient plongé dans les siens comme pour la sonder et elle se laissa tomber sur son lit. Elle devait revoir cet homme, même si elle savait qu’il n’y avait aucune chance pour une éventuelle relation entre eux. Elle se contentait de fantasmes avec son meilleur ami depuis des années, elle pourrait faire de même avec Alexandre Luthor.
Si elle avait su qu’à l’instant même, l’objet de ses pensées était plongé dans des rêveries bien à lui dans lesquelles elle occupait le premier rôle, ils se seraient épargné bien des épreuves.*
_Ca avait été le coup de foudre, hein ?
Il interrompit sa lecture à la question familière. Elle la posait chaque fois à un moment différent de l’histoire, mais rarement aussi tôt. Il lui offrit un sourire en fermant le carnet, marquant la page de son pouce alors qu’il proposait :
_Veux-tu finir de la raconter ?
Seule une grimace lui répondit, comme il s’y était attendu, et il put reprendre son récit.
*
Ce "appelez-moi Lex" lui resterait en mémoire pendant des années comme l’une des choses les plus odieuses qu’on lui ait dites. Le sentiment exprimé était poli, mais la façon dont il s’en était servi pour éviter de répondre à sa question, la traitant comme une lycéenne insignifiante plutôt que comme une vraie journaliste, l’avait presque laissée sans voix. Presque. Et puis quelque chose avait changé dans l’atmosphère quand elle avait répondu sans se laisser démonter, comme s’il ne s’était pas attendu à ce qu’elle reste combattive face à un homme que tous trouvaient intimidant. Comme si une pointe d’admiration était venue remplacer l’ennui et le scepticisme.*
_Tu crois qu’il se défendait déjà ?
Il haussa les sourcils. Cette question-là était inhabituelle, et elle révélait une perspicacité qui le surprenait toujours chez sa fille. Il répondit aussi honnêtement qu’il le pouvait :
_J’en suis persuadé.
_C’est dommage. Ils ont perdu beaucoup de temps. Pourquoi ?
_Par fierté. Par peur aussi.
Elle acquiesça gravement. Cette histoire la touchait toujours et il savait pourquoi. Derrière les complots et les machinations, derrière les trahisons et les doutes, derrière les drames et les souffrances, elle était d’une grande simplicité. Il s’agissait juste de deux êtres qui avaient été trop blessés auparavant pour se risquer à faire confiance malgré ce que leur dictait leur instinct. Deux êtres qui avaient perdu des années de bonheur simplement parce qu’ils avaient été trop têtus et effrayés pour admettre qu’ils étaient tombés amoureux au premier regard. Deux êtres qui avaient fini par se trouver… Mais à quel prix ?
*
Une fois de plus, les obstacles se dressaient. Son père, leurs propres sentiments, leurs avis contradictoires, puis leur ami commun, à supposer qu’elle puisse encore les qualifier d’amis. Elle avait choisi son camp, et elle n’était pas sûre d’avoir fait le bon choix. Elle avait tout fait pour oublier l’homme avec lequel elle avait tant partagé, du bon comme du mauvais, y compris tenter de se rappeler qu’il l’avait terrorisée plus d’une fois et en épouser un autre. Mais lorsque la mort du milliardaire avait été officiellement annoncée, les torrents de larmes qui lui avaient échappés avaient révélé la profondeur de ses sentiments. *
Il eut un demi-sourire en voyant une goutte salée rouler sur la joue de son enfant. Ce passage lui arrachait toujours quelques larmes. Il ne savait trop si elle pleurait pour la mort d’Alexandre Luthor ou par compassion pour la douleur de Chloé Sullivan, mais le résultat était le même à chaque fois. Malgré les épreuves, les contes de fées se terminaient tous par un mariage et une ribambelle d’enfants. Dans celui-ci, le mariage avec un collègue avait mal fini, et c’était le milliardaire qui avait remporté la jeune femme. Pour le pire ou le meilleur… Les opinions divergeaient. Il n’avait rien d’un prince charmant, et l’héroïne n’était pas une princesse sans défense, cela contribuait à l’originalité du récit.
_Il n’était pas mort, rappela-t-elle quand elle eut retrouvé ses esprits et qu’elle estima qu’il avait gardé le silence trop longtemps.
_Non, c’est vrai.
_Et elle a été la première à le découvrir.
_Exact, confirma-t-il une fois de plus.
_Papa…
La voix était plaintive, elle ne supportait pas qu’il la fasse patienter ainsi. Un trait de caractère qu’elle tenait de sa mère et qu’il trouvait plus adorable qu’agaçant. Alors il chassa délicatement la petite main qui tentait d’attraper le précieux carnet et continua à lire.
*
Quand elle avait compris qu’il avait survécu, elle avait longtemps hésité entre la joie, la peur, la colère et la déception. Joie de savoir qu’il n’avait pas disparu, peur qu’il soit resté aussi sombre que leurs dernières rencontres le suggéraient, colère de ne pas avoir découvert plus tôt la vérité, déception qu’il ne l’ait pas contactée. Au final, toutes ces émotions s’étaient mêlées pour former une résolution dure, inaltérable. Une décision dont elle ne savait trop où elle la mènerait, mais elle tenait toujours les promesses qu’elle se faisait à elle-même. Aussi s’était-elle lancée à sa recherche. Il avait fallu des mois d’investigation, des pots-de-vin qui l’avaient presque ruinée, des enquêtes dans des endroits tous plus dangereux les uns que les autres… Mais elle avait réussi. L’avait retrouvé au fin fond de l’île déserte sur laquelle il s’était réfugié le temps de guérir de ses blessures et de mettre au point son prochain plan machiavélique. *
_Mais il ne l’a jamais mis à exécution, termina la fillette.
_Tu sais bien que non.
_Raconte-moi la fin.
Il jeta un coup d’œil à l’heure. Elle s’endormait d’ordinaire plus vite que ça, mais il était déjà arrivé qu’elle tienne jusqu’à l’épilogue. Toutefois, ce soir, il était vraiment tard et elle avait besoin de sommeil, il le voyait à ses yeux rougis et aux bâillements qu’elle tentait de retenir. Aussi allait-il résumer.
_Tu sais comment cela s’est terminé. Elle l’a rejoint sur l’île, l’a convaincu de renoncer au plan qu’il formulait pour revenir prendre le contrôle de Métropolis, et est restée avec lui pour toujours.
Elle poussa un soupir heureux en s’enfonçant plus confortablement dans ses oreillers. Alors il lui offrit un sourire, se leva, caressa sa joue d’une main et déposa un tendre baiser sur son front. Puis il éteignit la veilleuse en murmurant :
_Bonne nuit, mon ange.
Un vague soupir lui répondit. Elle somnolait déjà. Il sourit de nouveau en quittant la pièce discrètement, pas le moins du monde surpris lorsqu’il découvrit que sa femme l’attendait dans le couloir. Il la prit dans ses bras en lui montrant le carnet qu’il tenait toujours à la main. Elle demanda, légèrement surprise :
_Tu as décidé qu’il était temps ?
Il hocha la tête en silence. Depuis qu’il avait commencé à lui raconter régulièrement cette histoire, alors qu’elle en comprenait à peine le sens, il laissait le document dans la chambre de sa fille, mais il commençait à craindre qu’un jour d’ennui, elle ne décide de le lire elle-même au lieu de l’attendre et ne découvre la vérité.
_Finiras-tu par le lui avouer ?
_Je l’ignore. Crois-tu qu’il le faudrait ?
Elle hésita une seconde avant de secouer la tête.
_Pas tout de suite, en tout cas. Les enfants du monde entier aiment cette histoire. Elle est racontée de génération en génération depuis des siècles.
A ces paroles, il observa l’horloge murale qui affichait la date. 15 avril 3248. Il y avait plus d’un millénaire que ce conte était entré dans la culture populaire, et presque personne ne connaissait la vérité, songea-t-il avec regret alors que son épouse continuait :
_Briser ainsi ce mythe, ça serait… Cruel.
Il confirma d’un acquiescement songeur. L’histoire était belle racontée ainsi, mais c’était un mensonge. Il en avait la preuve à la main. Sa femme l’attira à lui, le forçant à s’assoir sur le canapé pour se détendre et s’installant tout contre lui en prenant le carnet. Elle en parcourut les dernières pages, qu’elle connaissait aussi bien que lui.
_Tu sais, reprit-elle soudain, Lena mérite de connaître au moins une partie de la vérité. Elle mérite de savoir qu’elle est la descendante de ce couple légendaire, que Chloé et Alexandre sont tes ancêtres. Mais pour ce qui est de la fin…
_Je sais, l’interrompit-il.
Il reprit le carnet pour en observer la première page. Une ligne d’écriture tremblante annonçait au lecteur qu’il s’agissait là du journal de Chloé Sullivan, qu’elle avait entamé le 18 septembre 2034, alors qu’elle gisait sur son lit de mort, terrassée par un cancer. Personne, à l’exception de sa femme, ne savait qu’il possédait un tel document. Personne n’en soupçonnait même l’existence. Étonnamment bien conservé, il était transmis dans la famille de génération en génération depuis 1214 ans, sous le sceau du plus grand secret.
Il revint à son tour à l’épilogue pour parcourir les dernières lignes.
*
Lorsque j’ai retrouvé Lex Luthor sur cette île, j’ai eu du mal à le reconnaître. Pas parce qu’il avait changé physiquement, mais parce qu’il semblait comme… Apaisé. Il n’a pas paru surpris de me voir. Il n’a pas non plus exprimé la moindre colère. Il était comme… Comme le jeune homme qu’il avait un jour été, le jeune homme que j’avais rencontré plus de dix ans plus tôt, celui dont j’étais aussitôt tombée amoureuse, celui qui possédait au plus profond de lui le potentiel pour faire de grandes choses. Comme si ces mois d’isolement lui avaient permis de faire le point, de se souvenir de ce qu’était la vraie valeur de la vie.
J’ai essayé. J’ai vraiment essayé de résister, de me rappeler tout ce qui s’était passé entre nous, de ressasser toutes les raisons pour lesquelles je ne devais pas céder à ces sentiments qui me hantaient depuis si longtemps. Mais j’ai montré mon premier signe de faiblesse depuis des mois, des années.
C’est cette nuit-là que notre enfant a été conçu. Cette nuit-là que j’ai cru que tout allait devenir parfait dans le meilleur des mondes.
Mais la véritable nature de l’homme que j’avais respecté, craint, aimé, haï, a vite repris le dessus. Avait-elle même jamais été réellement étouffée ? Je ne le saurai jamais.
J’aurais dû protester quand il a voulu rentrer à Métropolis. J’aurais dû me douter qu’il se tramait quelque chose, qu’il cherchait autre chose que le pardon de la part d’amis à qui il avait fait tant de tort.
Oui, il était aussi diabolique que je le soupçonnais depuis que j’avais compris qu’il avait tué son père. Les personnes les plus puissantes du monde ont commencé à disparaître, les catastrophes à s’enchaîner, ses opposants à avoir des accidents… Et si je l’avais laissé faire, il aurait pris le contrôle de la ville. Du pays. Du monde.
Ca a été la décision la plus difficile que j’ai jamais eu à prendre, mais à aucun moment je n’ai hésité, pas plus que je ne l’ai regrettée ensuite. Le scotch avait toujours été sa faiblesse.
Il a rendu son dernier soupir quelques heures avant que son fils ne pousse son premier cri.Fin